Un dirigeant d’une coopérative péruvienne de commerce équitable réfléchit à l’agriculture, à la santé publique et à l’économie dans le contexte de la pandémie du Coronavirus
Par Phyllis (Felicia) Robinson, 27 avril 2020 | Traduit par SPP Global
Alors que la pandémie COVID-19 se propage dans le monde entier, nous nous adressons aux groupes d’agriculteurs et d’artisans pratiquant le commerce équitable pour savoir comment leurs communautés réagissent. Ce qui suit est extrait d’une conversation entre Santiago Paz, de la Cooperativa Norandino, au Pérou, et Phyllis Robinson, défenseuse de longue date du mouvement du commerce équitable. Cette conversation a eu lieu le 22 avril.
La Cooperativa Norandino est une coopérative de commerce équitable établie dans le nord-est du Pérou. Le café est sa principale culture d’exportation, mais les agriculteurs membres cultivent également du cacao et du sucre. Ils transforment une partie de leur cacao et leur sucre en confitures, qu’ils vendent sur les marchés nationaux et internationaux. Outre le rôle de premier plan qu’ils jouent dans le mouvement du commerce équitable, les membres de Norandino montrent comment les petits agriculteurs pratiquant le commerce équitable peuvent diffuser des solutions nouvelles et innovantes en matière de résilience climatique grâce à des projets de reforestation menés par les communautés. Leur nom est peut-être familier aux membres des coopératives alimentaires des États-Unis, après qu’un projet mondial de reforestation de coopérative à coopérative ait été au centre des activités de la Journée mondiale du commerce équitable 2018 du Fair World Project et de la National Cooperative Grocers’ Association.
Pour l’instant, « la situation est sous contrôle », dit Santiago, mais il craint que tout ne change du jour au lendemain. Il y a une pression énorme pour relâcher la quarantaine (en vigueur depuis début avril), car la majorité de la population ne peut plus supporter l’impact économique de rester à la maison. Cependant, Santiago s’inquiète du fait que le système de santé publique, déjà débordé, ne puisse pas gérer les conséquences d’une telle mesure.
La coopérative elle-même se porte bien et constate une forte demande des acheteurs internationaux pour son café et son sucre. Sa préoccupation n’est donc pas pour son organisation mais pour le pays dans son ensemble, car le gouvernement s’efforce de trouver un équilibre entre la santé des gens et leur besoin pressant de gagner de l’argent pour se nourrir.
Voici des extraits de ma conversation avec Santiago, racontée dans ses mots.
Un équilibre délicat entre la sécurité sanitaire et la nécessité économique
« En ce moment, les choses sont calmes. Mais à tout moment, tout peut s’effondrer. Dans toute la région de Piura, nous n’avons que 10 lits de soins intensifs. Ils sont tous pleins. Au Pérou, il y a 500 lits. Ils sont tous pleins.
Ici, les gens sont habitués à vivre au jour le jour. Ils gagnent leur vie en conduisant des taxis, en travaillant sur les marchés et en vendant tout ce qu’ils peuvent. La pression est forte pour que la quarantaine soit levée. Mais s’ils le font, beaucoup plus de gens vont tomber malades. Il y a un risque que le système tout entier s’effondre. Eh bien, il s’effondre déjà ; mais tout le monde ici n’est pas conscient de la situation. La plupart des gens ne se rendent probablement pas compte qu’il n’y a plus de lits disponibles dans les unités de soins intensifs.
Malgré tout cela, je tiens à répéter qu’aujourd’hui, nous sommes plus ou moins bien.
Chez Norandino, nous n’avons pas encore ressenti l’impact. Tout le monde ici travaille encore et gagne son salaire. Mais la majorité des Péruviens, je dirais le 70 %, vivent de ce qu’ils gagnent chaque jour. La situation est donc déjà insoutenable. En ce moment, il y a des gens qui n’ont absolument rien à manger.
Le gouvernement a distribué une grande quantité d’argent. Mais, il n’y a plus d’argent ; il va donc falloir maintenant lever les restrictions pour que les gens puissent travailler. Les médecins ont peur et ne veulent pas travailler. La police a peur. Ils disent que les forces armées ont engagé des personnes prêtes à ramasser les morts et à les enterrer. Ils créent des équipes de travail spéciales pour mener à bien cette tâche.
Pour l’instant, la situation est plus ou moins sous contrôle ».
Les agriculteurs restent essentiels dans la pandémie de COVID-19
Dans les campagnes, le gouvernement a déclaré que le travail agricole ne pouvait pas s’arrêter. Les agriculteurs ont des papiers qui leur permettent de se déplacer. Le secteur de la banane n’est pas touché. Les agriculteurs travaillent et exportent comme toujours.
Le problème se pose dans les communautés voisines, où opèrent les « ronda campesinas » (patrouilles autonomes). Elles sont très strictes. Elles ne laissent pas les paysans aller dans leurs exploitations, elles ne laissent personne entrer ou sortir des communautés.
Pour le café, je ne suis pas inquiet. Il semble que le gouvernement va assouplir les restrictions pour permettre aux conteneurs de café de continuer à circuler et d’aller au port. Mais ce qui m’inquiète, c’est que si le gouvernement assouplit les restrictions et que la situation empire, les gens vont paniquer et nous entrerons dans un état de chaos. Alors je ne sais pas ce qui se passera.
Donc pour l’instant, même si le contrôle est strict, nous ne sommes pas si affectés. La récolte du café ne commence pas en force avant le mois de juin. Donc, il est encore temps. Si les choses s’aggravent à ce moment-là, on ne sait pas ce qui se passera.
Association des productrices de cacao de La Paz, Norandino.
Forte demande de café et de sucre
En termes de ventes, une chose intéressante est en train de se produire. Même si de nombreuses personnes ont été touchées, les ventes sur les marchés et dans les supermarchés sont en hausse en ce moment. Il semble que les gens fassent des réserves et achètent plus que jamais.
La même chose nous est arrivée à Norandino. L’année dernière, nous avons eu un problème. Nous avions produit trop de sucre et nous craignions de nous retrouver avec un important excédent. Mais du jour au lendemain, tous les acheteurs [internationaux] ont demandé plus de sucre. Nous avons déjà vendu les 500 tonnes que nous avons produites.
Il en va de même pour notre café. Nos acheteurs nous demandent tous plus que ce qu’ils achètent habituellement. Je pense qu’ils craignent peut-être d’avoir des problèmes pour obtenir du café d’autres pays. Ils savent que Norandino se porte bien. Ils achètent donc plus qu’ils ne le font habituellement. En tant que coopérative, nous nous sentons prêts. Nous suivons tous les protocoles du gouvernement pour effectuer en toute sécurité la récolte, la collecte, le traitement, le transport et l’exportation du café.
COVID-19 met à rude épreuve le système de santé publique
Je crains que nous finissions tous par nous contaminer les uns les autres. Le gouvernement n’autorise qu’un seul membre par ménage à partir faire des courses. Mais les banques, les marchés, les pharmacies et les supermarchés sont tous très fréquentés. Nous n’avons pas l’habitude ici de rester chez nous, d’écouter le gouvernement, de porter des masques… cela ne fait pas partie de notre culture. Je crains donc que nous finissions par nous transmettre le virus les uns aux autres et que notre système de santé publique s’effondre.
J’ai entendu dire que dans d’autres pays, comme l’Allemagne par exemple, les gens sont libres de sortir à condition de faire preuve de prudence et de porter des masques. Et là, ils ont 25 000 lits de soins intensifs ! Imaginez un peu ! Ils sont donc capables d’assouplir les restrictions et le pays commence à passer de l’autre côté de la crise. Ici, nous avons 500 lits ; imaginez, avec la situation précaire à laquelle nous sommes confrontés. Les médecins sont inquiets. Beaucoup sont déjà tombés malades. Pourtant, pour l’instant, comme je l’ai dit, tout est sous contrôle.
L’incertitude s’accroît à mesure que la quarantaine s’étend
Au niveau national, le président fait du bon travail. Il prend des mesures et tient les gens informés. La situation est toujours sous contrôle, et nous suivons les lignes directrices. Chaque après-midi, il tient une conférence de presse de deux heures. Mais c’est ici, dans la région de Piura, qu’il y a le chaos et un manque de leadership.
Les gens sont bloqués à Lima parce qu’il n’y a ni bus ni avion. Les transports sont complètement fermés. La seule chose qui fonctionne, ce sont les autoroutes principales, et ce n’est que pour transporter des marchandises. Il y a des histoires de gens qui marchent de Lima à Piura pour rentrer chez eux [une distance de près de 1200 km]. Les gens sont proches du point de rupture, ils ne supportent plus d’être enfermés. Ils n’ont plus de nourriture et le gouvernement est à court d’argent.
La quarantaine dure depuis environ un mois. Elle est censée être levée le 26 avril [le 23 avril, l’ordre de quarantaine a été prolongé jusqu’au 10 mai]. Des voix s’élèvent pour demander sa prolongation et d’autres pour demander sa levée. L’idée actuelle est que le gouvernement pourrait finir par demander aux gens de décider par eux-mêmes, en exerçant une « sage distanciation sociale », comme ils le font aux Pays-Bas et en Allemagne. Cette politique pourrait bien fonctionner là-bas. Je viens d’avoir un entretien téléphonique avec quelqu’un en Italie : là-bas, le système de sécurité sociale est assez solide et le gouvernement apporte un soutien économique, mais ici, je crains que cette approche ne fonctionne pas.
Que pouvons-nous faire ? Nous devons tous rester calmes et unis et travailler ensemble. Cette crise ne fait que révéler ce qui est évident depuis trop longtemps. De l’autre côté de cette crise, nous devrons examiner attentivement nos vies et nos habitudes : notre façon de vivre, de travailler, de consommer – beaucoup de choses devront changer.
Le café de la Cooperativa Norandino, ainsi que celui de nombreuses autres organisations de petits exploitants, est disponible auprès de nombreux torréfacteurs dont la liste figure sur notre page « Marques à mission ». Alors que la demande dans les supermarchés est en hausse, de nombreuses entreprises de café voient la demande baisser avec la fermeture des cafés et des universités. C’est donc le moment idéal pour soutenir votre torréfacteur local de commerce équitable.